26 Fév Faut-il démanteler les sites nucléaires ?
1er épisode
Article extrait du dernier journal de Sortir du nucléaire. Intéressé-e ? Abonnez-vous !
S’il est un sujet sur lequel l’industrie nucléaire et de nombreux-ses antinucléaires semblent s’entendre, c’est bien celui du démantèlement – ou « désaffectation » d’après Swissnuclear – des installations nucléaires. Certains n’hésitent pas à décrire le futur site comme une « prairie verte » ou un « pré verdoyant », appellations sans doute destinées à appâter le chaland écologiste. Qui pourrait être contre l’idée de faire disparaître totalement du paysage et de nos préoccupations ces immenses verrues que constituent les 440 réacteurs de la planète ?
3 stratégies de démantèlement
L’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN, France) mais aussi de nombreux antinucléaires (Bernard Laponche lors du Forum Social Mondial de Paris en Novembre 2017) définissent 3 stratégies possibles [1] :
- démantèlement immédiat ;
- démantèlement différé, c’est-à-dire attendre que la radioactivité baisse d’elle-même avec le temps avant de commencer la déconstruction ;
- démantèlement in situ, appelé aussi « confinement sûr » (couler du béton sur l’ensemble du bâtiment).
Avis de l’AIEA
L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) recommande le démantèlement immédiat afin de ne pas faire supporter les coûts aux générations futures. L’IRSN ajoute un argument : « les circuits vieillissent et l’on finit par perdre la mémoire du site ». Tous, et en particulier les Suisses, ajoutent que l’exemple allemand à la centrale nucléaire de Greifswald, sur les rives de la mer Baltique, est la preuve de l’efficacité de cette stratégie.
Tout va très bien dans le monde du démantèlement nucléaire
Dans tous les pays où elle est présente, l’industrie nucléaire s’est construite sur l’opacité et les mensonges permanents. Il est donc légitime d’interroger cette unanimité et ces belles stratégies de disparition du nucléaire de nos paysages.
La question des déchets nucléaires
La question du démantèlement et celle des déchets sont liées puisque le démantèlement produit énormément de déchets : plusieurs centaines de milliers de tonnes par réacteur. En France, tout déchet en provenance du bâtiment réacteur est considéré comme radioactif, donc classé comme déchet radioactif (faiblement, moyennement ou hautement).
« Seuil de libération »
Dans la plupart des pays, il y a un seuil de radioactivité en-dessous duquel on considère que le déchet est conventionnel, c’est-à-dire traité comme n’importe quel déchet industriel et donc potentiellement recyclable. D’après le dossier de démantèlement du réacteur de Mühleberg, c’est le cas en Suisse. Or un très grand volume de déchets de démantèlement est constitué de gravats ou de métaux. Ces deux sortes de déchets sont recyclables. Fréquemment, on trouve de la radioactivité là où personne ne pensait qu’il y en avait et où donc personne ne prenait de précautions. À cela s’ajoutent les milliers de transports par route ou par train de ces gravats et autres ferrailles radioactives sans aucune garantie que certains ne « s’égarent » en route, passant ainsi de « faiblement radioactif à stocker » à « matériaux de construction bon marché ».
Déjà aujourd’hui en France il n’est pas rare que les portiques de l’industrie de conserves alimentaires
sonnent au passage de ferrailles radioactives de provenance inconnue.
Déchets issus du cœur
Concernant les centaines de tonnes de métaux et de béton provenant du cœur du réacteur et qu’il faudra bien mettre quelque part pour plusieurs milliers d’années, ils conduisent certains pays à abandonner le scénario de démantèlement immédiat faute de lieux d’entreposage.
Enfin, les projets d’enfouissement (France, Allemagne, ou Suisse) sont de plus en plus contestés, en particulier depuis les accidents nucléaires survenus en 2014 aux USA [2].
Les coûts du démantèlement
La Suisse se veut rassurante sur le sujet mais est régulièrement contrainte de revaloriser ses prévisions. Il faut dire que le fameux exemple allemand n’est, lui, pas rassurant. EWN a déjà décontaminé près des deux tiers de la centrale de Greifswald et a dépensé plus de 3 milliards d’euros. La facture finale devrait atteindre le double [3]. Par ailleurs, les chiffres les plus farfelus sont avancés en Europe. Même brouillard concernant les sites de stockage : ce ne sont pas 15 mais 32 milliards d’euros que pourrait finalement coûter le contre de stockage souterrain Cigéo à Bure.
Un nouveau marché juteux
Les problèmes de sécurité et d’entreposage des déchets sont loin d’être réglés. Les estimations de durée du démantèlement et surtout de coût sont excessivement sous-évaluées et les politiques de démantèlement en cours reposent sur des techniques complexes que nul ne maîtrise à ce jour [4]. La seule chose certaine c’est que s’ouvre un marché mondial juteux évalué à 220 milliards d’euros étalés sur plusieurs décennies [5].
Sommes-nous condamnés à démanteler ?
Après nous avoir pollués durant 50 ans, l’industrie nucléaire s’apprête donc à nous vendre au prix fort le ramassage de ses ordures
Alors, sommes-nous condamnés au démantèlement ? N’existe-t-il pas une quatrième stratégie qui mériterait études, estimations et réflexions politiques ? On en parle dans le prochain numéro.
Dominique Malvaud, Stop nucléaire Drôme Ardèche
1. tinyurl.com/irsn-3-strategies
2. tinyurl.com/2014-nouv-mexiq
3. tinyurl.com/demantel-all-it
4. tinyurl.com/bernard-nicolas-2014
5. tinyurl.com/marche-demantel
photo : Toujours pas de solution acceptable à l’horizon! Image: rabedirkwennigsen, pixabay.com