18 Déc L’arme nucléaire pour maintenir la paix ?
Article extrait du dernier journal de Sortir du nucléaire. Intéressé-e ? Abonnez-vous !
En pleines tensions internationales, le Prix Nobel de la paix 2017 a récompensé la Campagne Internationale pour l’Abolition des armes Nucléaires (ICAN) pour ses efforts contre la bombe atomique (1). 72 ans après les bombardements de Hiroshima et Nagasaki, ce Nobel distingue une coalition d’ONG qui a poussé à l’adoption d’un traité d’interdiction de l’arme atomique (2).
Le contexte
Selon les nombreuses personnes maîtrisant le sujet présentes au Forum Social Mondial antinucléaire, il semble que les experts en géopolitique parlent d’une « nouvelle guerre froide ». Les tensions sont d’autant plus grandes en Corée du Nord et en Iran qu’elles s’ajoutent aux incertitudes liées à des dirigeants comme Donald Trump. Il y a donc urgence et à réduire ces tensions ! Il va sans dire que les quelques 15’000 têtes nucléaires mondiales, réparties entre 9 pays (Russie, Etats-Unis, France, Chine, Angleterre, Inde, Pakistan, Israël et Corée du Nord) suffiraient
largement à détruire la planète…
Assurance-vie ou assurance-mort ?
Même si ‘seulement’ une demi-douzaine de bombes explosait, la vie serait compromise sur Terre. Dominique Lalanne, qui a étudié effet d’une bombe atomique sur Lyon (3), commente : « Après les morts directes liées à l’explosion et celles induites par les irradiations, à la fin il y aurait une famine car de grands incendies seraient engendrés par les explosions, ce qui produirait des fumées colossales dans l’atmosphère, générant un bouleversement climatique qui, même à court terme, affecterait la production alimentaire mondiale. »
« Jamais, depuis la guerre froide, nous n’avons été aussi près d’une guerre nucléaire et paradoxalement jamais nous n’avons été aussi près d’une abolition de l’arme atomique. »
Pourquoi ce traité ?
Le seul traité qui portait sur l’armement nucléaire jusqu’en juillet 2017 était le Traité de Non-Prolifération (TNP) (4). De nombreux représentants d’Etats ayant estimé que les pays détenteurs de la bombe n’avaient pas rempli leur part du contrat, ICAN, coalition internationale pour l’abolition des armes nucléaires, est créée en 2007. En 2013 a lieu une série de conférences sur les conséquences dramatiques qu’aurait un conflit nucléaire, que l’ensemble des organisations internationales ne pourrait pas assumer. Un projet de traité est alors soumis à l’Assemblée Générale de l’ONU. Le processus d’élaboration est rapide car les pays qui ont la bombe n’ont pas participé à ce projet !
Et maintenant ?
Ce traité stipule l’interdiction de fabriquer, d’utiliser, de financer et d’autoriser le transport dans son territoire d’une arme nucléaire (par la mer ou les airs). Est inscrite également la prise en compte des dégâts causés aux victimes des essais nucléaires (un traité de 1996 avait déjà interdit les essais nucléaires mais il n’est jamais entré en vigueur !).
53 Etats ont signé ce traité et 3 l’ont déjà ratifié. Il devrait entrer en vigueur en 2018 (90 jours après que 50 Etats l’ont ratifié). Un des objectifs est d’amener le maximum possible de pays à signer, y compris des pays possédant l’arme, en les obligeant à faire des propositions concrètes de calendrier de démantèlement de leurs ogives. Plus il y a de pays signataires et plus les chances de voir un jour une destruction totale des bombes est grande. En effet, par exemple, les USA n’ont jamais signé le traité d’interdiction des mines antipersonnelles mais depuis qu’il est entré en vigueur ils n’en fabriquent plus.
Mais pour atteindre l’objectif final il faudrait d’abord que des pays de l’OTAN sous parapluie nucléaire signent ce traité pour inciter les pays détenteurs de l’arme à signer.
Le Japon n’a pas signé
ICAN a beaucoup travaillé avec les Hibakushas, les survivants des bombes de 1945 au Japon. C’est d’ailleurs très probablement une Japonaise qui va recevoir le prix Nobel à Oslo le 10 décembre prochain. Pourtant le Japon, enfin plutôt son gouvernement, n’a pas signé le traité, et il dépense même beaucoup d’argent pour entretenir les bases américaines qui hébergent la bombe sur son sol. Le peuple japonais est majoritairement contre l’arme atomique (et on le comprend !) mais il n’y a pas de discussion possible sur la défense dans ce pays… car en théorie il n’y a pas de défense ! La constitution l’interdit. La gauche ne voulant pas changer cette constitution (de peur que la défense soit permise à nouveau) la discussion n’a pas pu avoir lieu.
De plus, la diplomatie n’étant pas possible avec la Chine ou la Corée du Nord, le Japon s’est toujours tourné vers les USA. Enfin, le lobby nucléaire (5) est puissant au Japon, notamment via les médias ou encore les universités, et la propagande n’en est que plus dure à combattre !
« Yes, we can! »
On pourrait prononcer le mot ICAN comme le « I can » anglais, soit « je peux ». Ils peuvent, et ils l’ont fait ! Même s’il reste du chemin à faire, nous tirons notre chapeau à tout ce travail !
Forte de 475 ONG membres dans une centaine de pays, le bureau central de cette coalition est à Genève. La Suisse, elle, n’a pas signé ce traité. Comme dans tant d’autres domaines, la neutralité de la Suisse montre son côté sombre.
ICAN a souligné au cours du FSM que cette action avait de nombreux soutiens au sein des religions. Le pape convoque d’ailleurs une conférence sur le désarmement les 11 et 12 décembre 2017.
Alice Martin
1 www.icanw.org
2 tinyurl.com/traite-interdiction
3 tinyurl.com/bombe-lyon
4 tinyurl.com/traite-nonproliferation
5 tinyurl.com/village-nucleaire
photo : Le champignon de Baker, deuxième essai nucléaire sur l’atoll Bikini aux Îles Marshall, réalisé par les États-Unis le 25 juillet 1946.