L’enfouissement contesté
La Suisse a choisi l’option de l’enfouissement des déchets radioactifs en profondeur. Ce choix est contesté parmi les géologues puisque creuser des galeries crée des fissures là où il n’y en avait pas. L’étanchéité des galeries n’est donc pas garantie, alors que le contact avec l’eau doit être évité. La région prévue pour construire un dépôt en profondeur est le Nord des Lägern entre Zürich et la frontière allemande.
Gouvernance de complaisance
Le directoire de la NAGRA (Centre de compétences techniques pour l’évacuation des déchets radioactifs dans des dépôts en couches géologiques profondes) est constitué des principales entreprises exploitantes des centrales nucléaires du pays. Il faudrait à la place une commission de personnes indépendantes de l’industrie. Aujourd’hui, cette gouvernance de complaisance engendre des choix satisfaisant les compagnies exploitantes mais rien n’indique qu’ils protègeront les générations à venir dont nous sommes pourtant collectivement responsables.
Absence de recul
Un stockage géologique souterrain est confronté à trois grands défis. 1. Le comportement de matériaux chimiquement et physiquement réactifs est imprévisible, surtout au cours des premiers siècles. 2. La probable infiltration d’eau dans un dépôt profond accélèrerait le relâchement de radioactivité dans les nappes phréatiques qui constitueront un bien de plus en plus précieux dans un contexte de climat réchauffé. 3. Les intrusions accidentelles par des tunneliers ou forages dans le site de stockage sont un risque croissant à mesure que les techniques et les coûts de forage se développent ainsi que les besoins en ressources fossiles, en réseaux de chaleur ou pour les transports.
Au vu de ces trois défis fondamentaux, des scientifiques de la branche dénoncent la précipitation du projet de solution finale : En France, le physicien nucléaire Bernard Laponche, ancien collaborateur au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) ; au Canada, le physicien Gordon Edwards, président de la Coalition canadienne pour la responsabilité nucléaire ; en Suisse, les géologues Marcos Buser et Walter Wildi (voir citations en exergue) craignent que les calendriers de réalisation soient une fois de plus irréalistes et que le programme de stockage géologique échoue à nouveau. On ne saura que dans un siècle si le type de roche dans laquelle la NAGRA entend stocker les déchets sera en mesure de combler les fissures créées par le percement du réseau de galeries pour réaliser le dépôt.
Pour une gouvernance responsable
Le défi posé par les déchets radioactifs concerne les contemporains mis en face des prochaines générations. Il ne doit plus être délégué à des techniciens répondant à l’industrie. Une solution transparente et démocratique existe. Les trente dernières années nous apportent l’expérience des processus citoyens d’évaluation non-biaisée des choix technologiques. Cette approche permet à des citoyens tirés au sort de choisir des expert-e-s et de leur poser des questions afin d’évaluer la situation au mieux du possible, de façon ouverte. Le processus d’évaluation aboutit à formuler un choix de solution transmis aux autorités politiques qui prendront la décision finale sur cette base.
L’engrenage du « Too big to fail »
Aujourd’hui, la Suisse est prise dans l’engrenage financier et institutionnel de l’enfouissement profond. Si les autorités fédérales adoptent la solution de l’industrie atomique et de sa NAGRA, la Suisse entrera dans l’engrenage des projets trop gros pour être abandonnés. Ce projet de chantier va alors se muer en politique du fait accompli. Ceci alors que le siècle passé a démontré le caractère exponentiel accompli par le progrès technique. Une solution de conditionnement plus performant ou toute autre solution que l’entreposage définitif profond – même la transmutation, aussi improbable que celle-ci apparaisse aujourd’hui – ne sera plus recherchée si l’entreposage profond est décidé.
Conclusion
La NAGRA n’est pas indépendante vis-à-vis des exploitants des centrales nucléaires puisque celles-ci font partie de son directoire. Or l’indépendance vis-à-vis d’intérêts particuliers est ce qui permettrait de choisir et d’assumer la solution la plus responsable envers les générations futures. En lançant une expertise citoyenne vraiment indépendante sur la question, la Confédération respectera le principe de responsabilité des bénéficiaires de l’ère nucléaire envers leur postérité. Sortir du nucléaire Suisse romande démarche les partis politiques représentés aux chambres fédérales dans ce sens.
Pour en savoir plus
Le blog « Nuclear waste » des géologues suisses Marcos Buser et Walter Wildi au sujet de l’enfouissement des déchets radioactifs: https://www.nuclearwaste.info/blog/?lang=fr
Article de Frédéric-Paul Piguet sur l’hypothèse actuelle de la confédération pour séparer durablement les déchets radioactifs de la biosphère. https://blogs.letemps.ch/frederic-paul-piguet/2022/02/08/malgre-les-apparences-aucune-solution-en-vue-pour-le-stockage-profond-des-dechets-nucleaires/
Conférence (vidéo) de Marcos Buser (FR / ALL) La gestion des déchets radioactifs, une perspective historique et contemporaine. https://www.youtube.com/watch?v=HHAlsfo0h_Y