28 Mai L’Allemagne remise ses deux démons électriques au placard
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La comparaison avec nos voisins allemands a souvent servi d’argument de campagne pour refuser la sortie du nucléaire en Suisse. Les personnes utilisant cette comparaison argumentent encore que, suite à une sortie trop précipitée du nucléaire, l’Allemagne aurait, dû remettre en fonction des usines à charbon ou à gaz, avec in fine un courant plus sale qu’avant sa transition énergétique. Le caractère hautement polluant du mix énergétique allemand – pour le moment – n’est pas remis en question ici. En revanche, les tendances annoncées par les défenseurs de l’atome suisse tombent totalement à plat lorsqu’on regarde les chiffres de l’électricité allemande.
La décision de sortir du nucléaire
La sortie du nucléaire en Allemagne s’est décidée en deux temps :
– au début des années 2000, avec un développement de l’éolien et du solaire,
– à l’aune de la catastrophe de Fukushima en 2011.
Les analyses qui suivent se basent sur les données collectées par l’institut Frauenhofer1. Il est notamment question de production électrique de chaque type de centrale, en térawatts-heure (TWh). Les données étant disponibles dès 2002, cette année sert de référence comme « situation au début de la transition », l’année 2010 comme « avant Fukushima » et l’année 2017 comme situation actuelle.
Evolution entre 2002 et 2010
Le mix électrique allemand du début des années 2000 est bien loin d’une production durable, avec une large domination du nucléaire (31 %), du charbon et gaz (60 %). Les énergies renouvelables font pâle figure, couvrant moins de 10 % des besoins. La situation est donc doublement problématique, avec les centrales nucléaires vieillissantes d’une part, et d’autre part un lourd héritage de production thermique, sans avenir en vertu de la nécessité de réduire les émissions de CO2 et des accords internationaux sur le climat.
En 2010, la production d’origine nucléaire a baissé de 15 % et celle venant du charbon de 10 %, alors que la production éolienne a été multipliée par 2.4 et le solaire par 7.3. Les autres gagnants de ce tournant progressif sont la biomasse (fois 7.7) et dans une moindre mesure le gaz naturel (fois 1.5).
« Il n’y a donc eu ni pénurie d’électricité, ni augmentation massive des contributions ‘sales’ ».
L’après Fukushima
C’est l’année suivante que survient le choc de l’accident de Fukushima, qui pousse les autorités allemandes à d’une part arrêter par précaution les réacteurs nucléaires âgés, et d’autre part à accélérer le calendrier de sortie de l’atome. Or, si on revient aux arguments des anti-renouvelables, ce virage accéléré se serait accompagné d’une réouverture massive de centrales au charbon et au gaz.
La réduction de quasi moitié de la production nucléaire allemande entre 2010 et 2017 s’est faite grâce aux énergies renouvelables, tandis que le charbon est resté stable, à quelques pourcents de sa production pré-Fukushima. Le gaz naturel a vu son utilisation diminuer de 20 % entre 2010 et 2017. L’Allemagne est simultanément devenue exportatrice nette d’électricité (52 TWh en 2017).
La situation en 2017
Malgré le tableau encourageant des chiffres de 2017 (voir figure), l’impact CO2 moyen du kWh allemand est encore très élevé. L’Allemagne a une belle marge de progression puisque quasi 10 % de cette production est exportée en 2017. La transition énergétique allemande est donc retardée par une stratégie de survie économique de la branche productrice d’électricité et son dumping des prix, permettant la vente massive de courant allemand sur les marchés européens, et la prolongation d’exploitation des centrales à charbon.
Cette stratégie est possible en partie à cause d’une taxation CO2 européenne trop faible, car fixée par le marché, et sans appui politique réel. Nos barrages suisses en font actuellement les frais, ne pouvant s’aligner sur des tarifs trop bas (3-4 ct/kWh).
Cette situation est toutefois en rapide évolution. L’essor explosif de l’éolien offshore, à la production plus régulière, la pression politique pour une taxe CO2 plus incitative, et le dépôt de bilan de certains producteurs thermiques continuent. Contrairement aux premières phases fortement subventionnées de la transition, les nouvelles capacités renouvelables fournissent du courant sans soutien étatique et moins cher que le nucléaire ou le thermique.
L’Allemagne est donc au milieu du gué. Avec la future mise à pied définitive du nucléaire (2022), et l’obsolescence programmée (fonctionnelle, écologique et économique) du charbon, la transition est en bonne route. Si l’Allemagne y parvient, malgré son lourd passif, en 20 ans, la Suisse peut largement l’accomplir avec seulement 40 % de nucléaire à remplacer, sans bougies, et sans importations sales !
Benjamin Rudaz